Seisme - Répliques

Comment assurer la sécurité des secouristes

16 Février 2023

Après les deux violents séismes qui ont touché le Sud de la Turquie et le Nord de la Syrie le lundi 6 février, l’urgence est à l’assistance aux populations sinistrées et au secours des personnes encore bloquées sous les décombres.

Dans des conditions hivernales et sous des températures négatives, c’est une véritable course contre la montre qui s’est engagée. Une course non sans dangers pour les secouristes. C’est pourquoi nous avons mené une étude visant à la mise en place d’un dispositif d’alerte permettant aux secouristes de se mettre à l’abri le plus rapidement possible en cas de répliques sismiques.

Des secours à haut risque

D’abord conduites de manière spontanée par les habitants et par les équipes de secours locales, ces opérations de « sauvetage déblaiement » sont désormais réalisées par des équipes spécialisées (dites « USAR » pour Unité de sauvetage et de recherche) venues du monde entier en réponse à la demande adressée par les autorités turques et syriennes.

La France a ainsi mobilisé via le mécanisme européen de protection civile deux unités USAR, soit plus de 120 personnes et une dizaine de chiens de recherche.

Par nature, ces interventions se déroulent dans un environnement dégradé et dangereux. Les répliques sismiques constituent à ce titre un risque majeur pour les équipes qui doivent intervenir dans des bâtiments gravement endommagés dont certaines parties peuvent s’effondrer, y compris en cas de secousses sismiques relativement faibles.

La période qui suit la survenue d’un séisme important est en effet caractérisée par une probabilité accrue de séismes – les répliques – qui sont de moindre ampleur que le séisme principal et résultent de réajustements de contraintes le long de la zone de faille. Autrement dit, de petites ruptures ont lieu sur la faille jusqu’à ce que celle-ci retrouve une position stable lui permettant à nouveau d’accumuler des contraintes pendant des centaines d’années jusqu’au prochain séisme d’ampleur.

Ce phénomène s’illustre avec force en Turquie, puisque les deux séismes du 6 février donnent lieu à un nombre particulièrement élevé de répliques : plus de 400 répliques de magnitude supérieure à 3.0 ont ainsi été enregistrées par le Centre sismologique Euro-Méditerranéen dans les 24 premières heures, avec une dizaine de minutes seulement entre chaque secousse ressentie à des degrés divers la population. Sans être surprenante après des séismes de magnitude supérieure à 7.0, cette activité de répliques est particulièrement élevée.

Bien que ce risque soit bien connu des équipes de sauvetage, elles ne disposent à ce jour que de peu de moyens pour s’en protéger, avec des pratiques très variables d’une équipe à l’autre. L’un des outils les plus utilisés demeure le « télémètre d’alarme » : un faisceau laser est pointé vers un bâtiment instable, et une alerte sonore est émise en cas de déplacement de plusieurs millimètres de la structure, malheureusement souvent trop tard au moment même de l’effondrement !

À défaut de prévoir, alerter au plus vite

Le principe d’alerte sismique précoce a été formulé dès 1868 en Californie, dans l’idée de pouvoir alerter San Francisco de l’imminence de l’arrivée d’ondes destructrices engendrées par des séismes localisés à une centaine de kilomètres de la ville.

En cas de séisme, les ondes « P » (comme « Premières ») – les moins fortes – libérées au niveau de la faille, se propagent dans le sol près de 2 fois plus rapidement que les ondes « S » (comme « Secondes ») qui sont responsables d’une grande partie des dommages, elles-mêmes suivies par d’autres ondes encore plus destructrices. En principe, il « suffit » donc d’analyser les premières secondes d’enregistrement des ondes P pour prédire la puissance du séisme ainsi que la sévérité des secousses à venir. La diffusion de cette alerte s’effectuant ensuite quasiment instantanément, il est possible d’informer des zones non encore atteintes par les ondes sismiques les plus dangereuses : plus l’on est éloigné de l’épicentre et plus l’intervalle de temps séparant l’arrivée de l’alerte et celle des ondes S est importante, laissant ainsi plus de temps pour réagir.

La principale complexité de mise en œuvre de ce principe vient du fait que le traitement des ondes sismiques doit être réalisé de manière automatique en quelques secondes seulement… De fait, cela était impossible du temps de Cooper, et il a fallu attendre plus d’un siècle pour que cette idée soit appliquée pour la première fois au Japon à la fin des années 1980.

Alerter les secouristes quelques secondes avant les secousses destructrices

Constatant d’une part le fort risque encouru par les équipes de sauvetage en cas de répliques, et d’autre part des avancées constantes de la robustesse des systèmes d’alerte sismique précoce, nous avons réalisé au BRGMune étude publiée en 2020 explorant la faisabilité et l’intérêt de doter ces équipes de secours de tels systèmes d’alerte.

L’objectif ? Pouvoir les alerter quelques secondes avant l’arrivée de secousses sismiques. Ce qui est très peu… mais peut faire la différence.

Il s’agissait à travers cette étude d’identifier dans quelle mesure un tel outil pourrait être une aide pour ces équipes, par le recueil et l’analyse du point de vue des secouristes eux-mêmes. Ainsi, elle repose en grande partie sur les résultats d’une enquête par questionnaire que nous avons menée avec le soutien de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) auprès d’équipes du monde entier.

Sur la base de la centaine de réponses récoltée auprès de spécialistes du domaine, cette étude permet en premier lieu de mettre en évidence un certain nombre d’actions pouvant être prises en quelques secondes et permettant de réduire le risque encouru par les secouristes.

Avec des délais espérés entre la réception de l’alerte et l’arrivée des secousses le plus souvent inférieurs à une dizaine de secondes, le bénéfice perçu de ces alertes précoces est multiple. Il va de la simple préparation psychologique permettant de réduire l’effet de surprise pour des alertes extrêmement réduites, à la possibilité de réduire son exposition au risque en se mettant en position de sécurité, en passant par l’arrêt d’activités dangereuses.

Mais un tel système automatisé n’est pas fiable à 100 %, et des fausses alertes sont inévitables. Facteur favorable souligné par l’étude, contrairement à d’autres secteurs d’activité dont la criticité rend les fausses alertes inacceptables et le principe d’alerte sismique précoce quasiment inopérant (centrales nucléaires par exemple), l’impact de fausses alertes isolées sur ces activités semble relativement limité.

En effet, au regard du gain de sécurité offert par une alerte précoce, le fait de devoir arrêter préventivement les opérations de recherche des victimes pour une fausse alerte semble donc acceptable, d’autant que dans ce cas de figure les opérations peuvent reprendre très rapidement du fait qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une nouvelle inspection de la stabilité des bâtiments dans lesquels se déroulent les recherches.

Cela permet d’entrevoir la possibilité de tirer pleinement profit des potentialités des systèmes d’alerte en configurant des seuils de déclenchement très sensibles maximisant la sécurité des sauveteurs.

Bien qu’un tel dispositif d’alerte précoce aux répliques existe déjà au Japon, il demeure largement méconnu est n’est de fait utilisé que par quelques équipes japonaises. A l’heure où les secours, d’une ampleur exceptionnelle, se poursuivent en Turquie et en Syrie pour tenter de sauver un maximum de personnes, il est sans doute opportun de penser au test de ce dispositif par les équipes de sauvetage internationales de sorte à pouvoir juger de son apport effectif.

 

Source : Samuel Auclair, ingénieur en sismologie au BRGM, chef de projet « Gestion de crise ». Auteur du livre « Le séisme sous toutes ses coutures », éd. l’Harmattan, 2019, BRGM.
Avec l'aimable autorisation de theconversation.com
Photo : Okan Coskun / Anadolu Agency via AFP

 

 INFO + 

Une adolescente sauvée onze jours après le séisme

Kahramanmaras (Turquie) - Une adolescente de 17 ans a été sauvée des décombres jeudi 16 février, onze jour après le séisme d'une magnitude de 7.8 qui a frappé le sud de la Turquie, a constaté une journaliste de l'AFP.

Aleyna Ölmez - dont le patronyme en turc signifie "celle qui ne meurt pas" - fait partie des rares survivants encore découverts sous les décombres au  malgré le froid et la violence de la secousse du 6 février qui a fait plus de 36.000 morts en Turquie. La jeune fille était ensevelie sous les décombres de son immeuble à Kahramanmaras, dans le sud de la Turquie, depuis 248 heures.

Au moment du sauvetage, elle était consciente et a pu fermer et ouvrir ses yeux suivant les instructions des équipes médicales, a rapporté un secouriste  à l'AFP. En larmes, son oncle a embrassé un par un les volontaires qui l'ont sauvée des décombres. "Nous avons été tellement heureux. Voir la joie de la famille est incomparable", a affirmé Ismail, un secouriste.

Composés en grande partie des mineurs venus de différentes villes du pays, des volontaires s'activent toujours pour essayer de retrouver des survivants  dans les ruines. "Tous les mineurs vous diront la même chose. Nous sommes venus ici dans l'espoir de localiser un son provenant d'un survivant", a raconté Ali Akdogan, un mineur. "Même si le son qu'on localise est celui d'un chat, on tentera aussi de le sauver".

 

Source : Fulya Ozerkan, AFP.